Rapport remis par M. Jean Ziegler, Rapporteur Spécial de l’ONU sur le Droit à l’Alimentation

RAPPORT REMIS PAR M. JEAN ZIEGLER, RAPPORTEUR SPECIAL DE L'ONU SUR LE DROIT A L'ALIMENTATION


Traduction non officielle – Extraits et résumés

[L'original du rapport se trouve sur les sites web du Reseau Voltaire, signalés plus haut]

INTRODUCTION

Le Rapporteur Spécial a effectué une mission dans les Territoires Palestiniens Occupés du 3 au 13 juillet 2003. Il s’agissait de la première fois où le Gouvernement d’Israël ait officiellement reçu une mission d’un Rapporteur Spécial de l’ONU, qu’il a accueilli dans une lettre datée du 23 mai 2003. …

Le Rapporteur Spécial exprime ses profonde sympathie et compassion à tous les tués et blessés, Israéliens et Palestiniens. La population civile tant palestinienne qu’israélienne est en train de vivre une tragédie épouvantable. Les Israéliens vivent sous la menace d’attentats suicides de kamikazes palestiniens. Les Palestiniens, eux aussi, vivent dans la peur, des femmes et des enfants sont) souvent tués chez eux ou dans des rues populeuses par des opérations armées israéliennes visant des dirigeants palestiniens… Cette mission a été entreprise en réponse à l’émergence d’une catastrophe humanitaire dans les Territoires Palestiniens Occupés. En conséquence des mesures sécuritaires imposées aux Territoires Occupés par la puissance militaire occupante, nous assistons aujourd’hui à une crise alimentaire allant s’aggravant et à l’augmentation du taux de malnutrition chez les Palestiniens…

[Suit la liste des contacts pris avec les autorités et organisations internationales, israéliennes et palestiniennes en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, TPO, pour la rédaction du rapport]

I – LA MALNUTRITION ET L’INSECURITE ALIMENTAIRE DANS LES T.P.O.

A – Une catastrophe humanitaire annoncée

Les TPO sont au bord d’une catastrophe humanitaire, conséquence de mesures militaires extrêmement sévères imposées par les forces militaires israéliennes d’occupation depuis l’éclatement de la seconde Intifada, en septembre 2000.

Les niveaux de malnutrition chez les Palestiniens se sont rapidement aggravés depuis l’imposition des mesures militaires susmentionnées. Une étude financée par USAID indique que « les territoires palestiniens, et en particulier la bande de Gaza, sont confrontés à une claire urgence humanitaire, en termes de malnutrition aiguë et grave ». La malnutrition grave dont il est fait état à Gaza équivaut aujourd’hui aux niveaux relevés dans les pays pauvres subsahariens, ce qui constitue une situation aberrante, étant donné que la Palestine était naguère une économie caractérisée par des revenus moyens. Plus de 22 % des enfants de moins de cinq ans souffrent aujourd’hui de malnutrition (9,3 % souffrent de malnutrition aiguë et 13,2 % de malnutrition chronique), à comparer à 7,6 % en 2000 (1,4 % souffraient alors de malnutrition aiguë, et 6,2 % de malnutrition chronique), d’après des relevés du PCBS. Près de 15,6 % des enfants de moins de cinq ans souffrent d’anémie aiguë, qui aura pour beaucoup d’entre eux des effets dommageables permanents sur leur développement futur, physique et mental. La consommation de nourriture a chuté de plus de 30 % per capita. Les pénuries alimentaires, en particulier en matière d’aliments protéiniques, ont été largement attestées. Plus de la moitié des foyers palestiniens ne peuvent plus avoir qu’un seul repas par jour. De nombreux Palestiniens avec lesquels le Rapporteur Spécial a pu converser ont indiqué ne survivre qu’en consommant du pain et du thé…

Plus de la moitié des Palestiniens sont désormais totalement dépendants de l’aide internationale pour se nourrir et néanmoins, comme l’ont indiqué beaucoup des organisations charitables et humanitaires que la mission a rencontrées, l’entrée et le transport de denrées alimentaires dans les Territoires Occupés sont souvent refusés et les camions qui les transportent doivent rebrousser chemin.

B – Les causes de la crise alimentaire

[Dans cette section le Rapporteur Spécial identifie et analyse quatre éléments rendant compte de la crise alimentaire :

Les bouclages et les entraves aux déplacements

La destruction, l’expropriation et la confiscation des terres palestiniennes

Une stratégie de « bantoustanisation»

L’obstruction à l’aide humanitaire

Il conclut : "La crise actuelle, fabriquée par la main de l’homme, résulte des mesures impitoyables qui entravent les déplacements des personnes et le transport des biens, et qui ont amené l’économie palestinienne au bord de l’effondrement. La crise humanitaire pourrait, par tant, être rapidement soulagée si les entraves aux personnes et aux biens étaient immédiatement desserrées."]

II – CADRE JURIDIQUE DU DROIT ALIMENTAIRE DANS LES T. P. O.

[Cette section analyse les traités et les conventions internationales s'appliquant aux territoires palestiniens occupés et elle rappelle qu'Israël en tant que puissance occupante a "certains droits et obligations précis, en vertu du droit humanitaire, dont l’interdiction des punitions collectives et de construire des implantations…", que "le gouvernement d’Israël doit prendre les mesures nécessaires afin de faciliter l’accès à la nourriture et à l’eau de la population palestinienne (en leur permettant de se nourrir par eux-mêmes … et ce n’est qu’en dernier recours qu’il doit distribuer de la nourriture et de l’eau aux gens qui n’ont pas accès à la nourriture et à l’eau… Enfin, le gouvernement d’Israël a, en vertu des droits de l’Homme et du droit humanitaire, l’obligation de fournir une nourriture et une eau appropriées aux prisonniers palestiniens…" Cette section poursuit en réfutant les allégations d'une responsabilité de l'Autorité Palestinienne dans la crise alimentaire et termine en constatant que "La crise humanitaire constatée aujourd’hui dans les Territoires Occupés résulte de violations évidentes du droit à l’alimentation…"]

III - PRINCIPALES CONSTATATIONS EN MATIERE DE LA MISE EN APPLICATION DU DROIT A L’ALIMENTATION

A – La crise alimentaire

[Dans cette section, le Rapporteur Spécial dresse un bilan terrible de la détérioration rapide des niveaux de malnutrition et de pauvreté ainsi que par la dégradation de l’accès des Palestiniens à la nourriture et à l’eau potable. Sans remettre en cause les besoins d’Israël en matière de sécurité, il exprime le point de vue que "les mesures prises actuellement sont totalement hors de proportion, car elles provoquent la faim et la malnutrition de civils palestiniens d’une manière qui équivaut à l’imposition d’une punition collective à la société palestinienne." Il fait sien le constat de la Banque Mondial selon laquelle, « la cause immédiate de la crise économique palestinienne est le bouclage (des territoires) » et que, par conséquent, ce n’est qu’en levant ce régime de blocus que la catastrophe humaine pourra être évitée."]

B – Les violations du droit à l’alimentation

[Dans cette section, le Rapporteur Spécial est préoccupé par les nombreuses violations caractérisées du droit à l’alimentation. Il cite en particulier l’organisation israélienne de défense des droits de l’Homme B’tselem, selon laquelle trente six communes (72 200 Palestiniens y vivent) vont être séparées de leurs fermes et de leurs puits situés à l’ouest de la barrière; quatre-vingt dix communes (soit 128 500 personnes) seront presque totalement emprisonnées par le tracé ondulant du Mur, dont 40 000 personnes qui seront prises au piège à Qalqiliya, enserrées de tous côtés par un mur de 8 mètres de hauteur, avec une seule route de sortie contrôlée par un checkpoint israélien; trente communes (11 700 habitants) seront prises au piège dans des terres requalifiées en zone militaire interdite, entre le Mur et la Ligne Verte – terres prises sur le territoire palestinien – mais les habitants se verront néanmoins interdire le droit de pénétrer en territoire israélien.]

L’obligation de protéger le droit à l’alimentation

[Dans cette section, le Rapporteur Spécial parle de violences exercés par les colons contre les palestinien sans que le gouvernement et l'armée israélienne envisagent d'intervenir. Par exemple selon l’organisation non-gouvernementale israélienne Alternative Information Center e 12 avril 2001, « des colons israéliens armés ont empêché des paysans du village de Huwwara de travailler dans leurs champs, et ils les ont contraints à retourner se réfugier chez eux ». En 2002, 4 paysans palestiniens ont été tués, et de nombreux autres blessés, dans leurs oliveraies, par des colons. Suivent de nombreux exemples d'exactions vis-à-vis de la population]

L’obligation de satisfaire le droit à l’alimentation

[Dans cette section sont traités les obstacles incessants qui empêchent à la population palestinienne d'avoir accès à l'alimentation et en particulier à celle acheminée par les organisations humanitaires internationales :

"L’obligation de faciliter l’accès humanitaire est elle aussi fréquemment violée par les forces militaires d’occupation… Ainsi, l’UNRWA a fait état, en juin 2003, de restrictions imposées par l’armée d’occupation à la liberté de se déplacer librement à l’intérieur de la Cisjordanie atteignant leur plus haut degré de sévérité depuis le début de l’Intifada. Il y a eu 231 cas de délais excessifs ou carrément de refus de passer à des checkpoints (186 incidents de délais excessifs, 41 incidents avec refus total de passer et 4 incidents ayant entraîné l’arrestation de membres du personnel) [lxxii]. Ceci signifie que beaucoup des camions de l’UNRWA ont dû rebrousser chemin sans avoir pu livrer les vivres de secours, parce que l’occupant leur a refusé le passage. D'autres exemples suivent]

CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

La cours tragique de la catastrophe en train d’émerger dans les Territoires Palestiniens Occupés doit être renversé. Il ne saurait être admis que des mesures militaires conçues pour protéger la population israélienne soient imposées d’une manière telle qu’elle mette en danger la sécurité alimentaire de l’ensemble de la population palestinienne. Il ne saurait y avoir une quelconque justification des bouclages internes impitoyables qui empêchent les gens d’avoir accès à la nourriture et à l’eau potable, l’imposition de telles mesures militaires étant constitutive, en tant que telle, de ce qui a pu être qualifié de « politique visant à affamer la population » Si le Rapporteur Spécial reconnaît que le Gouvernement d’Israël doit garantir la sécurité de ses propres citoyens résidant en Israël, il n’en affirme pas moins que les conséquences découlant de la manière dont les mesures de sécurités sont actuellement appliquées dans les Territoires Palestiniens Occupés est totalement hors de proportion, dans le sens où elle met en danger la sécurité alimentaire et hydrique de la grande majorité des Palestiniens et devient, de ce fait, constitutive d’une punition collective…

Le lent et insidieux processus de dépossession du peuple palestinien, tel qu’il se manifeste à travers les confiscations de terre, l’extension et la création de colonies et la construction de routes réservées aux seuls colons, ainsi que l’édification de la barrière de sécurité, en privant des milliers de Palestiniens de leurs terres, de leurs maisons et de leurs récoltes, est constitutif d’une violation du droit à l’alimentation

[Suivent les recommandation du Rapporteur Spécial au gouvernement d'Israël :

mettre fin immédiatement à l’obstruction opposée aux services d’aide humanitaire

renverser le cours de l’actuelle crise humanitaire, en mettant fin au régime des bouclages et des couvre-feu dès lors qu’ils ont pour résultat d’entraîner l’aggravation de la malnutrition et de la pauvreté dont souffre la population civile palestinienne

lever immédiatement les barrages internes à l’intérieur des Territoires

alléger les mesures de sécurité, et en particulier les checkpoints et les systèmes de permis de circuler quand elles entravent l’accès physique et économique des Palestiniens à la nourriture

de mettre fin à la destruction exorbitante de terres palestiniennes, de sources d’eau et d’autres ressources, ainsi que de l’infrastructure des services sociaux de l’Autorité palestinienne

de mettre immédiatement fin à la construction de la barrière de sécurité;

garantir une nourriture et une eau de boisson correctes à tous les prisonniers et détenus en Israël ainsi que dans les établissements pénitenciers palestiniens.]

Le rapport se termine avec la citation d'Ilan Pappe, Directeur de l’Institut des Recherches pour la Paix et maître de conférence à l’Université de Haïfa :

« La vérité pénible et mille fois rebattue reste que la fin des violences de toutes sortes (y compris la violence perpétrée sans discrimination envers des innocents) n’adviendra qu’après que l’Occupation (qui en est la cause) aura elle-même pris fin ».